Gallions : 94
isaac & tasnim
“—the control we believe we have is purely illusory;
every moment we teeter on chaos and oblivion.”
every moment we teeter on chaos and oblivion.”
Le chaos, comme elle ne l’avait jamais vu depuis ce que l’on appelait désormais « la bataille des mystères ». Au détail près que cette fois ce n’était pas des boules de cristal que l’on faisait exploser, mais des dragons enragés que l’on tentait de calmer, sans succès. Légère montée en gamme… comme le présenterait sûrement un canard dès la première heure le lendemain. Elle voyait déjà les gros titres puant le sarcasme à mesure que ses yeux balayaient la scène à la recherche d’un peu de stabilité, d’un peu de familiarité après ce portoloin maudit qui lui avait donné la nausée : ‘les inconvénients de cacher une réserve de dragons au milieu des moldus : qui l’eut cru ?’. La petite bourgade moldue paisible, entourée de collines, sûrement merveilleuse de tranquillité en plein jour se transformait sous ses yeux en une bouillie de flammes, de cris et de sortilèges à la nuit tombée. Ses oreilles s’étaient immédiatement bouchées dès son atterrissage comme pour se protéger d’un bruit qu’elle imaginait assourdissant ; ses jambes avaient légèrement flanché et Tasnim s’était demandée pendant trois longues minutes ce qu’elle pouvait bien foutre là. Même pas réquisitionnée, juste bêtement bénévole. Et si, pendant que les meilleurs aurors, médicomages et autres génies à baguettes se brûlaient le bout du nez dans ce carnage, transplanaient des quatre coins des îles britanniques pour porter secours aux dragons (et dans une moindre mesure, aux moldus qui se trouvaient aussi dans les parages), d’autres sorciers moins bien intentionnés réduisaient en cendres quelque chose de nettement plus important, disons, le Ministère ? Est-ce que cela pouvait être une diversion comme il y en avait tant eues dans les guerres précédentes ? Cette pensée la figea sur place comme si on lui avait lancé un maléfice de Jambencoton par derrière. Elle n’avait pas connu la première guerre. Elle n’avait rien connu d’aussi noir, d’aussi bête, d’aussi menaçant, seulement les couloirs chauffés de Salem où les chats se prélassaient dans les rayons de soleil et où l’on étudiait perché sur des coussins aux couleurs chatoyantes. Le ministère américain les avait préservés du mal peut-être à tort, les avait biberonnés à l’amour, à la paix, à la magie, il n’y avait que les moldus pour être aussi bornés dans leur quête de la domination absolue après tout, non ? Sauf que la magie de l’amour semblait inutile face à des dragons que la douleur rendait fous. La magie tout court paraissait bien dérisoire devant tout ces moldus terrifiés par les flammes, ces oubliators dont les baguettes crépitaient mais qui semblaient s’agiter dans le vide. Le chaos… Le chaos à l’état pur. Tasnim sortit de sa semi-transe lorsqu’une explosion de chaleur vint faire crépiter le bout de ses cheveux : elle réalisa que le temps s’était retourné contre elle, qu’elle avait marché dans une fournaise et qu’elle avait tout intérêt à participer ou bien à transplaner. Pas d’autre choix possible. Leur quotidien réduit à une combinaison de deux options contraires : agir ou fuir. Mais d’abord… d’abord il lui fallait trouver le Médicomage. Elle était sûre qu’il serait là, elle l’avait vu de ses propres yeux.
Alors que les sorciers avec qui elle avait partagé le portoloin se dispersaient aux quatre coins de la ville, semblant obéir à des ordres donnés en amont ou bien à un instinct particulièrement affûté, Tasnim scanna tranquillement les environs tout en serrant son retourneur de temps dans sa poche –ultime gri-gri qui empêcherait, elle en était convaincue, la peur et le mal d’envahir son cerveau, le ciel de lui tomber sur la tête. Repérant une tente de fortune à l’intérieur d’une maison à moitié éventrée, elle s’y avança, revoyant à mesure qu’elle plongeait dans le moment les détails s’imbriquant les uns dans les autres avec cette sensation inouïe d’avoir déjà été là. Et elle avait déjà été là. Forcément. Sinon comment aurait-elle pu savoir que le Médicomage y serait aussi ? Médicomage Gresham, l’avait-on appelé avec un vague accent asiatique il y a des années lumières de ça. Elle avait farfouillé dans des vieilles éditions de La Gazette du Sorcier après avoir aperçu son visage, retrouvé son nom, son histoire, son regard fuyant sur les photographies animées. Arthur ? Non. Aiden ? Ian ? Isaac voilà, Isaac. Isaac était là, au milieu de sa tente géante, débordé mais tentant de rester efficace avec le peu d’aide dont il bénéficiait, gérant ses blessés et ses vivants à demi-morts comme si sa propre vie en dépendait. Tasnim s’autorisa un sourire, un vrai, avant qu’une main carbonisée s’abatte sur son épaule et la ramène dans le présent. Ouch. Aide, aide, aide, vite. Elle aida le sorcier (moldu ?) à trouver un bout de couverture libre dans la tente et partit ensuite à la recherche d’un guérisseur, ravie (ravie, oui) à l’idée d’avoir désormais une bonne excuse pour aborder son… comment appeler ça, son mystère personnel ? Elle trouva Isaac au-dessus d’un panier rempli de petites fioles en verre et posa doucement sa main au-dessus de la sienne pour le stopper, le forcer à lever les yeux. Le temps sembla s’étirer, océans bleus se rencontrant à nouveau, pendant que Tasnim se mit à sourire vaguement. – Je savais que je te trouverais là, Isaac. Comme s’ils se connaissaient depuis toujours. – Et je suis contente de voir que tu es revenu. Une pause. Malgré tout. Elle pourrait presque paraître menaçante s’il n’y avait pas autant de douceur dans sa voix. Mais Tasnim, menaçante ? Voyons, c’était aussi probable que stupéfixer un dragon avec deux baguettes. En attendant, son blessé au bras calciné avait été relégué au second-plan. Il pouvait bien attendre deux minutes, il n’était plus à quelques centimètres de brûlure près.